Vampire
Si l'on sort de l'appellation « vampire » car historiquement homocentrée, voyons ce qui reste du sentiment de la sensation d'être et dévoration ? Peu nous importe ces dénominations 'projection' ou 'identification': nous ne sommes point psychologue, encore moins psychanalyste.
Nous nous placerons uniquement du point de vue de l'art qui ouvre les portes de l'inconnu, où l'innommé n'est pas l'inconnu, où la sensation, même innommable s'expérimente dans son langage propre, qui par chance est connaissable par tous.
Ainsi donc, je plonge en moi-même quand lâchant toute retenue je laisse à l'autre son corps, quand je décompte à l'autre le droit à son corps; décompte qu'il me laisse faire jusqu'au point de l'arrachement. Ce plongeon qui est nourriture d'être ou qui s'y apparente -vautration délictueuse- ce plongeon, ce raccordement des profondeurs appelons-le noeud: seul repos véritable et néanmoins factice au regard de l'autre qui lui se décollera toujours; seule restera la trace de la brûlure.
Cet arrachement du monde, cet embryon second de la naissance se perd soudain dans cette zone de silence où sa crémation s'évade en fumée grise dans le noir matin.
La matière n'est pas inerte: elle est vive structure du corps amoureux; Le sentiment n'est pas pleurant il est soudaine apparition du vide. Le corps a ses objets et la grâce du vide est son attrait. Il plonge en lui-même comme en l'autre sa source; il ne se vit que comme.
Qu'est-ce que la projection vers le vide si ce n'est une défenestration magnifique et inévitable ? Laissons les besoins nous porter; ils savent mieux que nous ce qui convient au baiser.
Et pourtant ce mépris qui s'accompagne qu'est-ce ? Pourquoi ? N'est-ce point celui que l'on a appris à avoir de soi ?* Et ce regard soudain que l'on jette sur l'autre celui en qui l'on trouve sa nourriture et son désir, cette avalation du monde dans une gloutonnerie romanesque qu'est-ce si ce n'est l'impensable mutation du désir vers sa satisfaction ? Et quant à la compagne victime, celle-ci psychologiquement délâbrée ne reconnaîtra plus dans ses restes ce qui avait été toujours parties d'elle-même.
Roberta
*Voyez ce que Corneille fait dire à Laodice reine d'Arménie
Laodice
Après tant de hauts faits, il m'est bien doux, seigneur,
De voir encor mes yeux régner sur votre coeur,
De voir sous les lauriers qui vous couvrent la tête
Un si grand conquérant être encor ma conquête,
Et de toute la gloire acquise à ses travaux
Faire un illustre hommage à ce peu que je vaux.
Nicomède Acte I, scène 1